« Je vais vous raconter une très vieille histoire que vous connaissez déjà.
Nous sommes dans un île, située entre l’Afrique et l’Europe. Ce n’est plus tout à fait la Grèce et ce n’est pas encore l’Orient. (…)
C’est la Crête, telle qu’autrefois Thésée l’Athénien l’a découverte en débarquant du Nord. Il convoyait sept jeunes gens et sept jeunes-filles qui représentait le tribut dû par sa ville au roi Minos. Mais il avait une autre mission, celle de rompre cette servitude, de tuer le monstre dont l’appétit engloutissait régulièrement la fine jeunesse d’Athènes.
Thésée est jeune, fort, plein d’enthousiasme. Mais ces qualités ne suffiront pas, car même s’il maîtrisait le monstre moitié homme, moité taureau, il se perdrait au retour dans l’obscurité du labyrinthe. Par chance, Thésée a bénéficié d’une aide particulière : la princesse Ariane, par amour, lui a confié une pelote de fil qui, quels que soient les détours dans lesquels il s’engagera, le ramènera à la porte de sortie. C’est une lumière dans la nuit, c’est une présence vivante dans sa main.
Je ne sais pas avec quelle arme Thésée a tué le Minotaure, mais le fait est qu’il l’a vaincu et que, grâce à ce fil ténu, mais solide, il a retrouvé sa route. Il avait accompli sa mission et sauvé sa vie.
Son histoire ne s’arrête pas là, vous le savez : il a eu d’autres difficultés, ne les a pas toujours surmontées à son honneur, mais le souvenir qu’il nous a laissé est celui de ce jeune vainqueur.
Et maintenant relisons cette histoire autrement. Cette île des contrastes, c’est le monde que nous voyons autour de nous, sous toutes les latitudes, un monde riche, changeant, enthousiasmant et désespérant à la fois. Thésée porte d’autres noms héroïques sous d’autres cieux ; c’est aussi chacun de nous. Plus exactement, au début de cette vieille légende, c’est nous, quand nous étions jeunes, c’est nous le matin, c’est nous quand nous entreprenons quelque chose de neuf.
Le labyrinthe est construit dans l’île, c’est-à-dire quelque part au fond de nous. Le monstre qui y réside, nous sentons sa présence, mais pas continuellement. Parfois il mugit, parfois il se tait, semble endormi, et quand nous pensons que le combat n’aura pas lieu, le voilà qui ressurgit. Si nous allons à sa recherche, c’est parce qu’on nous a envoyés le combattre. Nous avons ce devoir vis-à-vis des gens qui nous ont précédés et de ceux qui viendront plus tard, car nous devons améliorer quelque chose dans le monde qui nous entoure, et qui nous succèdera. Cela, nous le savons, sans pouvoir préciser d’où nous vient la certitude. (…)
Les Grecs avaient mesuré les limites de notre pouvoir et nous ont transmis des histoires qui nous enseignent la mesure et la modestie. Notre vie est une suite d’expériences où nous glanons la victoire comme l’échec ; notre but est de reprendre le fardeau, de réajuster le fil et de le tenir plus fermement pour limiter nos errances. » G. Procureur